Blog politique de Quentin Lagallarde

Conseiller Régional de Normandie

Conseiller Municipal de Cherbourg-en-Cotentin

Co-référent local Place-Publique

Comprendre, débattre, construire. La politique, pas les postures.

Depuis quelques jours, un graphique de l’« Observatoire de l’immigration et de la dĂ©mographie » circule massivement. On y lit que :

« En 2024, la population immigrée en France a augmenté de 434 000 personnes, un record historique. »

Marine Le Pen s’en empare pour accuser le gouvernement d’avoir « organisĂ© l’explosion des flux migratoires » et Ă©voquer une « submersion ».

ProblÚme : ce chiffre est utilisé de maniÚre trompeuse, car il ne mesure pas ce que Marine Le Pen lui fait dire. Voici pourquoi.

🔍 1. D’oĂč vient rĂ©ellement le chiffre de 434 000 ?

Ce nombre ne correspond pas au nombre d’entrĂ©es en France en 2024.

Il s’agit de la variation estimĂ©e du stock d’immigrĂ©s vivant en France entre 2023 et 2024, d’aprĂšs les donnĂ©es de l’INSEE.

📌 Un immigrĂ©, au sens de l’INSEE, c’est :

Une personne nĂ©e Ă©trangĂšre Ă  l’étranger et vivant en France, qu’elle ait ou non aujourd’hui la nationalitĂ© française.

Donc :

✔ une personne naturalisĂ©e reste comptĂ©e comme immigrĂ©e

✔ une personne arrivĂ©e il y a longtemps reste comptĂ©e comme immigrĂ©e

✔ cette statistique ne distingue pas la date d’arrivĂ©e

👉 On mesure un stock, pas des flux annuels.

Confondre stock et flux, c’est aussi grave que confondre « nombre de logements existants » et « nombre de ventes annuelles » : on change complĂštement de rĂ©alitĂ©.

🚹 2. Dire que « 434 000 immigrĂ©s sont arrivĂ©s en 2024 », c’est faux

La variation du stock inclut :

des entrĂ©es rĂ©centes des retours en France d’immigrĂ©s dĂ©jĂ  partis des personnes rĂ©gularisĂ©es des naturalisĂ©s (qui restent comptĂ©s immigrĂ©s) des corrections statistiques du recensement moins les dĂ©cĂšs

Aucun de ces Ă©lĂ©ments ne mesure directement l’immigration annuelle.

👉 Le RN laisse entendre qu’il s’agit d’entrĂ©es, alors que la donnĂ©e n’est pas de cette nature.

C’est lĂ  que rĂ©side la manipulation.

📊 3. Que disent les chiffres officiels — ceux qui mesurent rĂ©ellement les flux ?

Les donnĂ©es du ministĂšre de l’IntĂ©rieur pour 2024 indiquent :

▶ 343 000 premiers titres de sĂ©jour dĂ©livrĂ©s

(Ă  des personnes venant de pays hors UE)

Dont :

une forte part d’étudiants une part importante d’immigration familiale environ 70 000 protections accordĂ©es au titre de l’asile

Par ailleurs :

▶ La France reste en dessous de pays comme l’Allemagne ou l’Espagne en proportion de la population.

Ces chiffres sont publics, vérifiables, opposables.

📌 On reste trĂšs loin du rĂ©cit d’une rupture historique.

đŸ‡ș🇩 4. Pourquoi la hausse du stock est malgrĂ© tout forte en 2024 ?

Essentiellement pour trois raisons :

1ïžâƒŁ L’accueil des Ukrainiens sous protection temporaire

Depuis 2022, plus de 100 000 personnes fuyant la guerre ont été protégées en France.

Elles entrent progressivement dans la population rĂ©sidente comptabilisĂ©e par l’INSEE.

2ïžâƒŁ Le rattrapage post-Covid

2020–2021 : flux historiquement bas

2022–2024 : retour progressif à la normale

Comparer 2024 Ă  ces annĂ©es-lĂ  gonfle mĂ©caniquement l’écart.

3ïžâƒŁ Une forte mobilitĂ© Ă©tudiante

La France accueille plus de 320 000 étudiants étrangers.

Beaucoup restent plus d’un an → ils sont comptĂ©s comme immigrĂ©s.

Aucun de ces phĂ©nomĂšnes n’a Ă©tĂ© créé par la France seule.

Ils relĂšvent de :

✔ un contexte international

✔ du droit europĂ©en

✔ de politiques humanitaires assumĂ©es

🧼 5. Le fameux ratio « x25 » sur les annĂ©es 1990 : un artifice rhĂ©torique

Le graphique du RN compare 2024 à la moyenne des années 1990.

Or les années 1990 sont une période historiquement basse :

chute de l’immigration de travail durcissement progressif de la lĂ©gislation moindre mobilitĂ© internationale

Comparer une pĂ©riode exceptionnellement basse Ă  une pĂ©riode exceptionnellement dynamique permet d’obtenir :

➡ des ratios spectaculaires

➡ sans que les flux actuels soient objectivement extrĂȘmes

C’est un effet de base — connu de tout statisticien — mais jamais expliquĂ© dans le discours politique.

🏛 6. Qui produit ce chiffre ? Un « observatoire »  militant

L’Observatoire de l’immigration et de la dĂ©mographie (OID) :

est une association loi 1901, financĂ©e par des dons n’est pas un service statistique public n’est pas un institut de recherche acadĂ©mique ne publie aucune mĂ©thode dĂ©taillĂ©e soumise Ă  validation scientifique

Ses productions sont massivement relayĂ©es par l’extrĂȘme-droite, mais rarement par la communautĂ© scientifique.

Cela ne signifie pas que tout soit faux —

mais que la maniĂšre de cadrer les chiffres sert une thĂšse politique.

⚠ 7. Conclusion — Quand les chiffres servent le rĂ©cit, et non l’inverse

Oui :

✔ la population immigrĂ©e a augmentĂ© fortement en 2024

Mais :

❌ cela ne signifie pas que 434 000 personnes sont entrĂ©es en 2024

❌ cela ne prouve pas une « submersion organisĂ©e »

❌ cela oublie volontairement le contexte (Ukraine, Covid, Ă©tudiants)

Le RN utilise :

1ïžâƒŁ un chiffre rĂ©el

2ïžâƒŁ mais qui ne mesure pas ce qu’il prĂ©tend mesurer

3ïžâƒŁ puis l’insĂšre dans un rĂ©cit anxiogĂšne

C’est cela, la manipulation :

👉 faire dire aux chiffres autre chose que ce qu’ils disent rĂ©ellement.

🎯 Pourquoi c’est grave ?

Parce que sur des sujets aussi sensibles que l’immigration, la dĂ©mocratie a besoin de rigueur, pas d’amalgames.

Les chiffres existent.

Les institutions statistiques sont solides.

Le dĂ©bat doit se faire sur des faits — pas sur des illusions graphiques.

Les Ă©lecteurs ont droit Ă  la rigueur d’analyse et non aux manipulations Ă©lectorales.

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